Ca faisait longtemps que j'avais repere Yab. A l'epoque, je trainais souvent sous les neons roses du Cupidon le soir, seul, parfois avec Awa, parfois avec PierreMarie2, pour faire un billard. Yab est, de tres loin, l'une des plus belles coquinettes du Cupidon. On s'est observes en coin pendant quelques mois. Sa beaute froide m'attirait autant qu'elle m'impressionnait. Jamais je n'aurais ose lui adresser la parole - tout au plus, un sourire lointain et distant. Etait-ce par reflexe professionnel, ou par simple curiosite ? Un soir, c'est Yab qui a brise la glace. "Bonsoir, et si tu t'arretais pour boire quelquechose ?".

J'allais donc pouvoir mieux la connaitre. Yab a 19 ans seulement. Elle vient du Nord du pays. Comme beaucoup de filles du Nord, elle est tres belle. Son visage est tres fin, ses cheveux longs et noirs. Son sourire est tres doux, et elle s'exprime avec une grande clarte, clairement, avec humour et esprit.
Mais c'est aussi une coquinette professionnelle. Elle sait exactement comment se mettre en valeur. Bien que tres jeune, elle est aussi tres respectee par ses collegues coquinettes, pourtant plus agees. Je devine rapidement qu'elle a du commencer a coquiner assez tot, et qu'elle a eu assez de succes pour pouvoir s'affranchir de la necessite du coquinage. Sa tante est la proprietaire du bar, et Yab en supervise les deux ressources: la caisse et les filles.
J'apprends vite qu'elle a plusieurs boyfriends affrans, de nationalites differentes, qui viennent a differentes periodes de l'annee. Et qui doivent, j'en suis sur, l'entretenir grassement, chacun ignorant totalement la presence de l'autre. Yab m'explique sa philosophie de la vie: s'amuser, profiter. Elle s'amuse la nuit, dort le jour. En fin de journee, elle conduit sa mobylette le long de la plage. Elle me confie qu'elle aime depenser, qu'elle a deja eu jusqu'a 300 000 ppl (1ppl=50 euros... le salaire moyen est de 6 000 ppl) mais que tout a ete depense.
Elle est tres fiere de sa petite fille, elevee par sa mere, qui a maintenant cinq ans et qui va a l'ecole.
"J'avais quatorze ans, c'etait une erreur de jeunesse. Je n'avais pas voulu ecouter ma mere. Son pere, il m'a abandonnee, je l'ai plus jamais revu. Je ne veux plus jamais etre avec un papilandais. Seulement avec un affran. Je ne regrette rien, ma fille est adorable. Elle ne m'appelle pas 'maman'. Les gens nous prennent pour des soeurs."
Yab sait aussi ecouter, elle a une certaine acuite dans son jugement.
"Pourquoi t'es tout seul, Magic ? "
Puis, sans attendre la reponse, grand sourire:
"Je sais, t'as pas d'amis ! Ton visage est fatigue, t'as l'air de t'ennuyer de la vie. Tu devrais rentrer."
Petit pincement.
"T'as vu juste, Yab. Je devrais rentrer. Dans mon pays. Un jour."
Le jour de mon anniversaire, Yab m'avait achete une couronne de fleurs. J'avais apprecie l'attention.
"Bon anniversaire. Mets-la ! Demain, tu la mettras dans ta voiture. Interdit de la jeter !"
Plus tard dans la soiree, assis cote a cote, alors que j'observais son petit visage, elle m'avait dit sur le ton de la confidence:
"Aujourd'hui, j'ai interroge les etoiles. Voila ce que le voyant m'a dit: Un etranger va m'offrir, au choix, une maison, une voiture, ou un telephone portable."
Je me doutais qu'elle avait du payer le prix pour une telle prevision. Plus on paye, meilleure est la prevision, normal. Elle avait paru songeuse un instant, puis son sourire etait revenu:
"J'ai choisi le telephone portable."

Ca n'est que peu de temps apres avoir rencontre Yab pour la premiere fois que j'avais rencontre Us, sa cousine.
La premiere rencontre ne s'etait pas tres bien passee. Us me fixait derriere le bar, avec un petit air mi-innocent, mi-taquin. Comme je ne l'avais jamais vue auparavant, je l'avais prise pour une nouvelle coquinette, j'avais interprete ses regards comme autant d'invitations a explorer le cote obscur de la force. J'avais ete un peu sec, cette attitude hautaine qui n'invite pas a poursuivre les relations.
La deuxieme rencontre etait la bonne. J'avais appris qu'elle etait la cousine de Yab, en vacances, qu'elles venaient de la meme ville. J'ai tout de suite retrouve les traits de caractere que j'apprecie chez Yab, cette expression posee et douce, les mots d'esprit, le rire qui fuse. Une grande beaute, dans un autre genre, plus fragile, plus... enfantine. Rapidement, un etrange malaise s'est installe en moi. Son innocence... me troublait et m'attirait en meme temps. Elle a vite dissipe le mystere. Il s'est avere qu'elle avait tout pour plaire, sauf... la majorite. Us a tout juste 16 ans. J'aime a penser qu'elle doit etre vierge "comme les etendues du desert du Sahara", ce qui ne manque pas de piquant au Cupidon. Elle le revendique fierement. Une vrai vertu dans cette ville ou tant l'ont si petite... (la vertu, bien entendu...).
Avec la complicite de sa tante, proprietaire du bar, Us est venue passer son mois de vacances scolaires, comme on ferait un stage dans le garage de son oncle. Elle veut "apprendre l'anglais avec des affrans". Us a un peu force la main a sa mere. Elle a profite de l'absence de son pere, alcoolique, pour s'echapper avec sa tante. J'y vois la, avec tristesse, les premisces d'un coquinage prochain, pas forcement pour tout de suite. Mais quand on est papilandais, qu'on a des problemes et qu'on connait cette echappatoire, on a vite fait de faire le pas. J'ai vu plusieurs fois des clients lui faire des avances, et devant son refus, tenter le coup aupres de la tante, qui a refuse aussi. Mais pour combien de temps ? Je crains le pire car Us m'a dit que ses parents ne voulaient plus lui payer les 2 ans d'etudes obligatoires qui lui restent.
Je suis venu voir Us souvent ces derniers temps. J'aime bien capter ses grands yeux noirs. Souvent c'est elle qui detourne la tete la premiere, avec un petit sourire en coin. Je l'ecoute me raconter sa vie d'adolescente papilandaise, pas toujours marrante, et j'essaye de la rassurer comme je peux - difficilement, d'ailleurs. Je me prends a penser que c'est une fille bien, qu'elle merite mieux que ce qui l'attend.
Hier soir, c'etait la derniere soiree de Us. Elle rentre aujourd'hui. Cette perspective est loin de l'enchanter. Yab a paye sa tournee et Us, qui ne boit pas d'habitude, boit un breezer avec maladresse et sans style. L'alcool l'a rendue un peu plus triste, mais elle tient le coup. Elle s'est attachee les cheveux, elle est bien habillee.
"Magic, c'est ma derniere soiree. Yab m'emmene a la Rue de la Luxure, on va en boite. Ca te dit de venir ?".
Je fais un peu la moue. Je n'aime pas melanger les 2 mondes que sont la Rue de la Luxure et les gens que j'aime bien et que j'estime. J'en veux un peu a Yab de lui montrer ce genre d'endroits. Mais surtout, ne pas intervenir. Ca me ferait un peu mal de passer une soiree avec Us et ses copines coquinettes qui ont deja pas mal force sur l'alcool.
"Je te remercie. Mais on va se quitter la. Sache que j'ai ete tres content de t'avoir connue."
Gauche, droite, Yab n'est pas dans les parages.
"Viens la, Us, il faut que je te dise quelquechose."
Elle se rapproche. "Il faut que tu finisses des 2 ans d'etudes qui te restent. Je veux pas te revoir dans ce bar. C'est pas... bien, tu comprends ?"
Elle sourit. "Oui, je sais."
Je ferme le poing, leve le petit doigt, et avance le bras vers elle. Elle a compris, elle fait de meme. "C'est promis ?" Nos doigts se touchent, c'est un serment. "Promis".
Un dernier regard. Un dernier sourire. C'est fini.